La Turquie est particulièrement concernée par la crise syrienne, en tant que pays voisin. Elle accueille un nombre important de réfugiés et des incidents militaires se sont déroulés ces dernières semaines. Il est important pour la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, de connaître l’appréciation de la Turquie sur cette crise, son origine et surtout sur les moyens d’en sortir. La Commission a, par conséquent, auditionné SE. M. Tahsin Burcuoðlu, ambassadeur de Turquie, pour qu’il puisse donner la position de son pays face à la situation en Syrie.
Christian Cambon, Vice-président de la Commission, lui a demandé comment la Turquie estimait le niveau gravité les incidents de frontières qui ont eu lieu récemment.
L’ambassadeur a rappelé que l’Assemblée nationale a autorisé le gouvernement à donner les ordres nécessaires à l’armée turque pour se déployer afin de protéger la population locale et la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Turquie.« Ce n’est pas une déclaration de guerre, mais la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles et démocratiques qui permettent au Parlement de donner au gouvernement les moyens d’agir. ». La Turquie a saisi l’OTAN, en application de l’article 4 – et non de l’article 5. Le Conseil de l’OTAN a publié une déclaration. La France a fait une déclaration qui a été très bien appréciée en Turquie car elle exprimait la solidarité et le soutien d’un pays allié. Les instances des Nations unies ont également réagi. « L’Allemagne et le Royaume-Uni ont réagi dans un premier temps en exprimant leur solidarité mais en appelant à la retenue, ce qui n’a pas été très bien accueilli, car la Turquie était victime de l’agression et se trouvait placée sur le même plan que l’agresseur. Ceci a été, dans un second temps, rectifié. »
Christian Cambon a souhaité connaître l’appréciation qu’il portait sur l’échec du Conseil de sécurité des Nations unies. L’ambassadeur a expliqué qu’une comparaison pouvait être faite avec la situation en Bosnie « de nombreuses personnes ont été victimes de son blocage. Il est dommage que les Russes essaient de régler leurs comptes avec l’Occident sur le dossier syrien. Nous avons beaucoup travaillé avec la France, les États-Unis, le Royaume-Uni pour convaincre les Russes de l’intérêt d’avoir au moins des zones tampons pour héberger les personnes déplacées, cela n’a pas été possible. Il y a bien eu une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU mais elle ne peut pas agir même dans le domaine humanitaire. Nous avons proposé des zones de sécurité, frontalières de la Turquie, mais sans résultat à cause du blocage du Conseil de sécurité. »
Le Sénateur lui a demandé si son pays envisageait une solution grâce à l’action des pays de la région et quel serait son rôle. Monsieur Tahsin Burcuoðlu a précisé que dans les pays frontaliers, il y avait des fragilités. Le gouvernement central irakien de M. Maliki, à majorité chiite, exprime une certaine solidarité confessionnelle avec le régime syrien qui complique les choses. Le Liban a tenu bon jusqu’à maintenant, même le Hezbollah observe une certaine retenue. En Jordanie, la situation devient difficile car il y a eu des manifestations et une poussée de radicalisation islamiste. Le Qatar et l’Arabie Saoudite soutiennent l’opposition, mais on ne voit pas quelle solution ils prévoient exactement pour l’avenir de la Syrie. « Nous avons des relations avec eux et les objectifs à atteindre au-delà de la chute du régime sont en discussion. ». Il y a un problème avec la radicalisation de l’opposition par la présence des salafistes et de certains éléments d’Al-Qaïda. « C’est inquiétant car ces groupes sont mieux organisés, avec des réseaux d’approvisionnement en armes, et ils risquent de dominer les autres éléments de l’opposition. D’après nos services, l’opposition contrôle environs 65 % du territoire. ». Les grandes villes restent sous le contrôle du régime, mais dans les zones rurales, des comités locaux civils ou armés ont pris le pouvoir. « On accuse parfois la Turquie de jouer la carte du sunnisme, mais nous n’avons aucune intention de rétablir le Califat. Ce qui est regrettable, c’est l’augmentation du nombre de victimes et le blocage du conseil de sécurité. La réforme du Conseil de sécurité ou son élargissement ne changera rien, si un droit de veto est maintenu. Nous travaillons avec les Russes et les Chinois. Auront-ils une chance de réviser leurs positions ? Pour le moment, ils continuent de bloquer les choses. »
Christian Cambon a également sollicité l’ambassadeur sur le risque que la situation puisse relancer les difficultés avec les Kurdes. « En ce qui concerne les Kurdes, le groupe majoritaire travaille avec la Turquie -nous les aidons, nous les hébergeons- et avec M. Barzani en Irak, mais il y a une minorité qui coopère avec une organisation proche du PKK. C’est un problème pour la Turquie mais aussi pour la région kurde d’Irak, dirigée par M. Barzani avec laquelle nous avons de bonnes relations politiques et économiques. » a répondu Monsieur Tahsin Burcuoðlu.
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